Hôtel de Ville de Charleroi : Chef-d’œuvre Art déco

25/08/2025
Au cœur de Charleroi, l'Hôtel de Ville s'impose comme un repère incontournable de la Ville-Haute. Sa présence n'a pourtant rien d'évident si l'on se souvient qu'au XVIIe siècle, l'endroit faisait partie de la forteresse édifiée par les Espagnols, et plus précisément d'une caserne de cavalerie. Réutilisé au fil des siècles, l'ensemble servit tour à tour de maison communale, de tribunal et même de halle aux blés. Ces bâtiments disparates ne répondaient plus aux besoins d'une cité industrielle en pleine expansion. La décision de construire un hôtel de ville digne de ce nom fut prise à la fin des années 1920, lorsque Charleroi affirmait sa place parmi les grandes villes belges.
Un concours d'architecture fut lancé en 1930, révélant l'ambition d'ériger un édifice moderne mais prestigieux. Le projet de Jules Cézar, repris et concrétisé par Joseph André, fut retenu et mena à l'inauguration du nouvel Hôtel de Ville en octobre 1936. Le bâtiment frappe immédiatement par ses proportions monumentales : 240 mètres de façades en pierre bleue et blanche, ponctuées de hautes baies et coiffées d'ardoises. L'équilibre classique de la composition est enrichi par la vigueur des lignes Art déco, qui confèrent à l'ensemble une personnalité singulière. En 2001, cette architecture exemplaire a valu à l'édifice son classement au patrimoine exceptionnel de Wallonie.

Dès l'entrée, le visiteur est immergé dans une scénographie grandiose. Les lourdes portes de bronze s'ouvrent sur un vaste hall d'honneur où se déploie un décor raffiné de marbres polychromes, de cuivres et de statues. De grands lustres en verre et cuivre étincelants rythment l'espace et soulignent l'ampleur du volume. L'escalier monumental, cœur de la composition intérieure, conduit à un palier dominé par la sculpture La Gloire et la Paix d'Alphonse Darville. Cette œuvre en bronze affirme la dimension symbolique du lieu : un espace de représentation où l'autorité publique s'accompagne de valeurs universelles. Dans les couloirs du premier étage, l'atmosphère se prolonge grâce aux élégants éclairages en fer forgé et verre opaque, qui jalonnent les murs et accentuent la solennité des parcours intérieurs.

À l'étage, les décors atteignent une intensité particulière dans la salle du Conseil et des mariages. Les vitraux, peuplés de blasons héraldiques, rappellent la tradition civique, tandis que trois immenses lustres en cristal du Val Saint-Lambert, composés de dizaines de milliers de perles, projettent une lumière éclatante. Aux murs, les toiles de Joseph Desmedt donnent vie à une allégorie de la ville, transformant la salle en véritable manifeste artistique. Tout l'intérieur de l'Hôtel de Ville témoigne d'une œuvre collective où architectes, peintres, sculpteurs et artisans ont uni leurs talents. On y retrouve notamment les interventions d'Oscar De Clerck, Marcel Rau, Georges Wasterlain ou encore Hector Brognon, chacun apportant une pierre à l'édifice dans le sens le plus littéral et le plus figuré du terme.
L'extérieur trouve son point culminant dans le beffroi, élevé à soixante-dix mètres. Fidèle à l'esprit Art déco, il associe pierre, brique et lignes géométriques dans une composition élancée. Sa silhouette, visible à plusieurs kilomètres, fait de lui un signal urbain, un repère dans le tissu dense de la ville. Plus qu'une tour, il est un symbole : celui du pouvoir communal et de la continuité historique des beffrois en Wallonie et en Flandre. Son carillon, composé de quarante-sept cloches, rythme les journées en diffusant chaque quart d'heure un air de Jacques Bertrand, chansonnier local du XIXe siècle. Depuis 1999, il figure sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO, rejoignant ainsi un vaste ensemble de beffrois belges et français reconnus pour leur valeur universelle.
Mais l'Hôtel de Ville ne se réduit pas à ses façades solennelles ou à ses symboles de pouvoir. Au rez-de-chaussée, les visiteurs peuvent rencontrer une autre facette de l'identité carolorégienne : les géants de la ville. Installés dans le hall, ces figures du folklore rappellent que l'édifice est aussi le reflet de la culture populaire, vivante et festive. À travers ce voisinage singulier entre décors monumentaux et traditions populaires, l'Hôtel de Ville exprime toute la diversité de Charleroi : une cité ouvrière et industrielle qui a su inscrire sa mémoire et son identité dans une architecture ambitieuse, ouverte à la fois sur l'histoire, l'art et la vie quotidienne de ses habitants.